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Chapitre III : Compiègne ville du front

Dessin d'Albert RobidaLe dimanche 13, de grand matin, M. Jean de Magnienville s'en va à bicyclette prévenir nos soldats du départ des Allemands. Un peu avant huit heures, un chasseur cycliste du 18e régiment, ployé sur son guidon, vient annoncer la bonne nouvelle : les Français vont rentrer dans la ville.
Voici, en effet, une automitrailleuse qui vient d'inspecter la forêt où rôdent les traînards que nos soldats se chargent de faire prisonnier. Enfin, voici un peloton de dragons, commandé par le lieutenant Dor de Lastours.
Devant la porte de l'hôtel de ville au-dessus duquel viennent de reparaître les couleurs de France, les autorités, au grand complet, ont reçu nos soldats. Toute la population est heureuse de saluer les uniformes français qui l'ont délivrée adroitement d'un joug qui aurait pu durer plus longtemps et finir beaucoup plus mal. Pour nos soldats, on retrouve cigares et tabac. Et le lieutenant de Lastours, les bras chargés des fleurs qu'il vient de recevoir, dépose ses bouquets, en hommage, aux pieds de la statue de Jeanne d'Arc.

En bloc, en un seul coup, on apprend toutes les nouvelles, la bataille de la Marne et celle du Grand Couronné ; le miracle de la libération d'une partie du territoire. La victoire rapide ne fait presque plus de doute et l'ennemi poursuivi va bientôt être reconduit jusque chez lui à la pointe de nos baïonnettes.
En signe de joie, le beau temps est revenu. L'animation est grande en ville, où chacun, enfin libéré de ses angoisses, peut respirer librement et revoir ses amis avant de reprendre ses occupations habituelles.
A partir de cinq heures, les piétons peuvent utiliser la passerelle provisoire qui a été rétablie au-dessus des péniches renversées par l'explosion. Ce passage provisoire effleure le courant de la rivière et, en bien des endroits, l'eau envahit les planches et les traverses.

Un nettoyage complet s'impose dans les maisons et dans les rues où il s'agit de faire disparaître la dernière trace d'allemand: On retrouve mille choses dans les cantonnements et la Mairie s'occupe de les faire rassembler. Une automobile Rolls-Royce, qui avait été abandonnée par le Quartier Général anglais, puis saisie par les Allemands, est de nouveau restée pour compte sur la place du Château, sans qu'on ait pu réparer le moteur et le remettre en marche. Soixante-et-onze traînards ont été faits prisonniers dans la forêt, quelques rôdeurs sont encore signalés. Bientôt traqués, ils seront à la merci de nos soldats.
Cependant les alentours de la ville sont encore peu sûrs pour le promeneur. Des coups de feu ont été tirés au barrage de Venette, dans la plaine de Choisy, vers le hameau de Royallieu. Une surveillance spéciale s'impose pour assurer la sécurité des endroits isolés.
M. Lefèvre, Commissaire de Police bénévole, remet ses pouvoirs à M. Bourdrez qui vient de rentrer avec quelques agents.
Le lendemain, on se met au travail. On affiche à la porte de l'hôtel de ville les sages paroles que M. de Seroux adresse à ses administrés :

« Mes Chers Concitoyens,
Merci d'abord et de tout cœur du calme dont vous avez fait preuve pendant l'occupation de notre ville par l'armée allemande.
Maintenant que vous avez eu le plaisir d'acclamer le retour de nos soldats français, j-e vous demande d'observer ce même calme et d'éviter tes rassemblements nombreux que nous avons vus pendant la journée d'hier.
La vie de notre cité doit reprendre dès aujourd'hui son cours normal. Les commerçants doivent ouvrir leurs magasins et tous les habitants devront s'occuper du balayage des rues et de l'enlèvement des ordures ménagères pour supprimer tout danger d'épidémie. Ils devront aussi s'employer à remettre en ordre les locaux occupés par les allemands aussi bien dans les immeubles leur appartenant que dans ceux de leurs voisins absents.
Enfin, à la demande des autorités militaires, nous prions nos concitoyens de s'abstenir de toute distribution d'alcool aux soldats français de passage. La tâche de ces derniers est loin d'être terminée, ils ont besoin de toutes leurs forces et de toute leur présence d'esprit pour compléter la déroute de l'ennemi et ce serait compliquer et compromettre la tâche de leurs chefs que de retenir les soldats et de les mettre en état d'ivresse.
Jusqu'à nouvel ordre, d'ailleurs, les débits de boissons seront fermés à 8 heures du soir. Les armes ou effets allemands trouvés dans les maisons devront être rapportés à l’Hôtel-de-ville, sous peine de poursuites.
Les habitants de Compiègne auront à cœur de se conformer à ces désirs, ils nous donneront ainsi un précieux réconfort.
L'adjoint délégué :  H. DE SEROUX »

Dans la journée, les 23 éclopés de l'hôpital Saint-Joseph sont faits prisonniers. Ils seront transportés provisoirement à la maison d'arrêt par les soins du Commissaire de Police. L'hôpital Hersan est débarrassé dans les mêmes conditions des trois soldats et d'un grand blessé que l'on évacue vers l'intérieur. On peut maintenant établir le bilan, de la courte occupation de Compiègne qui dura 13 jours, du 31 août au 12 septembre.
Le nombre des pillages s'élève, à première vue, de 180 à 200. Leur importance, difficile à évaluer, par suite de l'absence des propriétaires dévalisés, peut monter à environ 800.000 francs. Trois ou quatre maisons ont été atteintes par les obus français, lors du bombardement de la rue de Paris. Huit grands bateaux, dont sept chargés de houille, ont servi aux Allemands pour la construction de leur pont de péniches et gisent, pour le moment, au ras de l'eau sur toute la largeur de la rivière.

Voilà le triste bilan. Il aurait pu être cent fois plus importent si, à la tête de la cité, ne s'étaient pas trouvés des hommes pleins d'expérience, qui ont sauvé la ville durant les treize jours mortels.
Enfin, pendant tout le temps de l'occupation, l'Etat Civil a enregistré 15 naissances et 20 décès.
Le premier train qui arrive de Paris dès le 14 est un train de service envoyé pour reconnaître l'état des voies, heureusement peu endommagées. Il est conduit par M. Dautry, ingénieur de la Compagnie du Nord.
Cependant, les Allemands ne sont pas loin. On peut dire qu'ils ont à peine quitté la ville : la bataille toute proche, se livre pour le moment, à Elincourt-Sainte-Marguerite et sur le plateau d'Attichy. A partir de ce jour jusqu'en 1918, Compiègne demeurera comme la sentinelle avancée du front.

Le Progrès de l'Oise reparaît le 15 septembre. Il reproduit en deuxième page la proclamation fameuse signée Sabath, dont la composition est restée intacte à l'imprimerie après le tirage des affiches blanches. Hélas, la guerre continue. L'année 1914 apportera aux Compiégnois de nouvelles émotions.
Mais déjà, d'autres infortunes viennent se réfugier dans la ville;des habitants des villages voisins fuient le bombardement et l'incendie et viennent chercher asile à la ville. Ils sont une centaine pour le moment et leur nombre ne fera qu'accroître. Pour eux, on organise des installations de fortune dans les locaux communaux et les salles de spectacle actuellement sans emploi.