Compiègne à la Belle époque

La place de l'Hôtel de Ville de Compiègne en 1914 - Musée du Mémorial de l'ArmisticeVoici Compiègne si calme dans sa vie tranquille (1)
"qui, en 1900, vivait au rythme lent et séculaire de la traction animale dans une société figée et cloisonnée" (2)
Voici l'animation paisible de ses habitants
Le martellement des sabots des chevaux sur le pavé vient rompre le calme des rues compiégnoises et attire l'attention. Le mercredi et le samedi, de lourdes charettes transportent victuailles et gens de la campagne voisine jusqu'au marché.
Un peu plus loin, sur la place de l'hôtel de ville, on entend le roulement d'un fiacre, loué à l'heure ou à la course par les bourgeois de la ville. Des enfants poursuivent en courant une "voiture sans cheval" pétaradante qui peine dans la montée de l'avenue royale. Elle vient de dépasser l'hôtellerie du Rond royal gérée par l'Automobile club compiégnois.
A l'écart des rues commerçantes, dans les avenues qui mènent à la forêt, landaus et calèches aristocratiques arrivés au printemps ou revenus à l'automne dans leur résidence compiégnoise, se rendent vers l'hippodrome les jours de course ou en promenade vers la forêt.
C'est ainsi que se présente la société figée et cloisonnée d'une petite ville française d'un peu plus de 15 000 habitants, "miroir d'une France profonde ayant vécu en marge de la révolution industrielle du XIXe siècle" (3). Société originale, aussi, où se développe une "véritable industrie résidentielle" (3) grâce à la présence récente et régulière d'une soixante de familles titrées proches de la grande bourgeoisie locale. Ces résidents fortunés assurent l'emploi à une domesticité locale et les revenus aux commerçants et artisans de la ville.
Le Compiègne de la Belle Epoque connaît l'engouement pour le tourisme. Le syndicat d'initiative vante, dès 1908, les atouts de la "Nice du Nord" où le tout nouvel hôtel du Rond-Royal héberge les vacanciers.
 
La quiétude de ses bourgeois est interrompue par un évènement local : il est question de supprimer les parapets de pierre du pont au profit de grilles afin d'élargir la route de quatre mètres. Le projet ne laisse pas indifférent et partage la population : le pont sera plus spacieux conviennent les uns, enlaidi concluent les autres.
Les travaux n'en finissent pas de ralentir le passage des attelages, lorsqu'enfin, en septembre 1901 est prévue son inauguration, à l'occasion de la venue des souverains russes.
Très vite, il faut s'activer à réaménager et à redonner de l'éclat au château abandonné et vidé de ses meubles depuis 1870. On affectera les appartements impériaux d'autrefois au couple impérial russe tant attendu.
C'est pour Compiègne, un événement hors norme où "20 000 visiteurs venus par des trains spéciaux se pressent, sans compter les 11 000 hommes de troupe qui, alignés le long des trottoirs, contiennent la foule ou escortent le cortège officiel". (3)
 L'effervescence retombée, les bourgeois portant canotier, canne de jonc à la main sortent au bras de leur belle endimanchée pour une promenade à l'ombre des ormes, le long du Cours. Bientôt, le 12 juillet 1914, une nouvelle statue, celle du major Othenin, sera érigée en bonne place.
Le beau monde déambule ainsi le dimanche pour voir et être vu.
Ces élégants promeneurs partiront bientôt au front.
 En février 1910, le Progrès de l'Oise relate :
"La crue de l'Oise a transformé les caves en citernes, des pluies torrentielles s'abattent sur la région. Une souscription est ouverte pour les sinistrés. Vêtements, dons sont centralisés à l'Hôtel de ville.
 
L'orgueil de sa garnison
Un officier du 5e Dragon en garnison à Compiègne démissionne bientôt de l'armée pour se consacrer à la gestion de ses affaires et débuter une carrière politique. En 1904, "les élections municipales font triompher Robert Mortimer Fournier-Sarlovèze et sa liste de droite jusqu'en 1935.
Rarement maire incarnera mieux sa ville, il la veut à la fois élégante et généreuse, aristocratique et populaire."(3) Maire de Compiègne durant 31 ans, il remporte aussi le siège de député en 1910.
C'est lui qui lance et organise, en 1909, 1911, 1913, les grandes célébrations de Jeanne d'Arc. Cette année 1909 où Jeanne d'Arc est béatifiée, c'est Mademoiselle Adrienne de Baillencourt Courcoi, en armure, montée sur un cheval blanc, qui incarne Jeanne. Elle est photographiée devant les arches du parc de Songeons 
Dès 1909, un aérodrome s'installe à Corbeaulieu. Les nouvelles vont bon train : "En fin d'après-midi du 14 avril 1911, la foule scrutait le ciel avec curiosité. Legagneux, aux commandes de son aéroplane s'envolait de Corbeaulieu pour doubler, le premier, l'Hôtel de ville de Compiègne."  
 En 1903, le jeune Georges Guynemer, âgé de 9 ans, découvre Compiègne depuis la nouvelle maison familiale construite au 112 de la rue saint Lazare.
La passion dévorante de l'aviation le conduit, à 18 ans sur le terrain de Corbeaulieu, lors des vacances de 1912. Il s'envole clandestinement pour la première fois dans un aéroplane dont le pilote, à ses côtés, ne posséde pas encore son brevet ! Le jeune homme périra en 1917 au dessus du front.
 
L'élégance des avenues
Sur les pelouses de l'hipppodrome du Putois, l'insouciance règne.
L'évènement sportif des courses attire les spectateurs-parieurs et l'élégance mondaine se fait admirer.
Gabrielle Chanel, "canotier bien enfoncé et petit tailleur de province, suit consciencieusement les épreuves du bout sa lorgnette". (4) Le domaine de Royallieu, dans un faubourg, vient d'être acheté en 1904 par un jeune militaire de 27 ans, Etienne Balsan, qui a démissionné de l'armée pour se consacrer à l'élevage de chevaux et aux courses.
Grâce aux relations de Balsan, Gabrielle Chanel fait la connaissance d'un Anglais, Arthur Capel, surnommé Boy. Leur liaison amoureuse irrégulière et sincère va durer dix ans jusqu'à la mort accidentelle de celui-ci en 1919.
Le soutien et la générosité de ces deux hommes vont permettre à Gabrielle Chanel de sortir de sa condition plus que modeste et de réaliser sa vocation. (5)
A l'entrée de l'église anglicane saint-André, le chapelain accueille avec chaleur les résidents britanniques et sportsmen du monde hippique local  venus en nombre assister au service religieux.
A l'automne 1914, le champ de courses où les acclamations se sont tues  retournera alors à l'abandon.
 
L'ancienne vie, enfin, du bon vieux temps d'autrefois
Pour la génération masculine née après 1870, les futurs "pantalons rouges" de l'été 1914, la saison s'annonce exceptionnellement belle, les moissons seront en avance...
 
Texte de Claire Pagura
 
 
(1) Premières lignes du livre de J.R. Lefevre "Compiègne pendant la Guerre"
(2) Jean Legendre, préface du recueil de cartes postales "Compiègne à la Belle Epoque".
(3) Hommage à François Callais, à qui je dois tant.
(4) Extrait du livre de Paul Morand "L'Allure Chanel ", 1976.
(5) Remerciements à Brigitte Sibertin-Blanc Durand, auteur du livre "Le véritable séjour de Coco Chanel à Royallieu"