Collaboration


"Des tringlots à petit bonnet rond, comme en portent les joueurs de polo sur les photographies sportives, musardent et trainardent autour. Ce sont les écumeurs de champs de bataille, les détrousseurs de cadavres. Des filles en cheveux et des éphèbes en savates se sont joints à eux; les filles ont de douze à seize ans, les garçons de quatorze à dix-huit : c'est de la meilleure graine d'espion. Les soldats caressent les filles ;  une intimité touchante règne entre ces bandits, qui prouve que, malgré la guerre, l’internationalisme n’est pas tout à fait un vain mot. Nos jeunes Français indiqueront à ces braves Allemands les bons coups à faire dans la ville, en échange de quoi ils recevront leur part de butin, et leurs délicieuses compagnes échangeront les hardes qu'elles portent contre les belles robes de chez le grand faiseur dont les dames des Avenues ont laissé, en partant, leurs armoires pleines. Quelle abjection et quelle honte ! En attendant que la nuit soit venue, qui leur permettra de s'ébattre plus librement et plus utilement, ils consacrent leurs loisirs à des jeux innocents. Les filles ont grimpé sur une fourragère ; un tringlot les y a rejointes et leur chatouille le visage avec un brin de paille : c'est une idylle à faire sangloter toutes les Gretchen de là-bas. Il n'y manque que de la musique ; elle n'y manquera pas longtemps. Un gramophone volé va nous régaler de la Fille de Madame Angot, de la Valse bleue et... du God save the King (1) ; nous avons espéré, en vain……. l'hymne russe et la Marseillaise. "

Extrait de "La guerre devant le Palais" de Gabriel Mourey - 1915

1- Il est propable que Gabriel Mourey n'a pas entendu le God save the King, mais l'un des hymnes allemands, le Heil dir im Siegerkranz dont l'air n'est autre que celui de l'hymne anglais

Ecoutez le "Heil dir im Siekerkranz"